Entrons dans la forêt par le sentier bondissant des pluies,
Traversons le ruisseau tortueux que bercent les joncs verts,
Longeant le guingois des barrières que la blancheur pâlie
Et les pentes vagabondes que le soleil exaspère.
Nous avançons l’un et l’autre cherchant la source perdue,
Un fleuve de feuillage crépite au dessus des ornières,
Et puis au-dessus les nuages s’enfuient sans s’arrêter
Et d’un coup disparaissent étrangement escamotés.
Serpentant par monts, par vaux, les chemins sont des rivières
Chassant les pensées, les mots, comme nuages dans le ciel.
Les flots, le vent, emportent les histoires oubliées loin des terres,
On ne les quitte pas, elles nous emmènent loin avec elles.
Le serpent s’est endormi dans l’ombre des mots éludés,
Le long serpent bleu de nuit, l’Ouroboros ensommeillé
Sous l’herbe rousse et la pierre coupante des ombres téméraires,
Sur les terres indivisibles des secrets inattendus.
Entre deux collines oubliées martelées de soleil,
J’invoque ta présence, et l’écho étouffé du désir,
Les rêves d’alouettes grises que nos étoiles veillent
Et l’effleurement de nos mains qu’apaisent les souvenirs.
Je regrette l’ile oubliée où rodait le renard rouge,
Les siestes au bord de la rivière, mes deux mains sur tes hanches,
Le verger abandonné où l’ombre de nos ombres bouge,
Et l’âne singulier passant loin dans les achillées blanches.
Loin de toi ou près de toi, c’est deux fois le même chemin,
Car nous partageons le même rêve et la même demeure,
Ses espérances fragiles et ses détours du destin,
Les signes secrets sous le murmure habité des heures.
Sans compter les pas enlacés sur le sentier sinueux
Sans compter les rires perdus glanés dans tes cheveux,
Sans compter le nombre des baisers glissés dans ton cou,
Sans compter les bonds audacieux de l’écureuil roux,
Sans compter les caresses de nos doigts éparpillés,
Sans compter les petits cailloux blancs semés sous nos pieds,
Sans compter les étreintes sous les refuges ombreux,
Sans compter les brindilles d’or jetées au ciel poudreux,
Sans compter les chuchotis d’ivoire sous les arbres,
Et le discret ramage enchevêtré des hautes branches,
Sans compter les doux serments entre lumière et ombre,
Et les damiers de soleil que nos silhouettes cachent.
Loin du coassement grave des freux réunis en concile,
Je te retrouverais où s’assemblent les passereaux,
Ton âme frêle cachée sous les battement de tes cils,
Mon cÅ“ur caché parmi les milliers de petits cÅ“urs d’oiseaux,
Debout dans le cercle bleu loin du sourd désordre des mots.
La lune pâle cachée derrière l’acacia blanc éveille
La clairière où tremble le silence en petits sabots,
Les méditations muettes des ânes aux grandes oreilles.
De ce songe suspendu ne dis plus rien, amour, et vois
Sous l’horizon impénétrant qu’une étoile vive entaille
La course vigilante des astres clairs entre les doigts
Noirs des arbres disséminés où la lumière trésaille.
Parmi les animaux, au cœur de la forêt, animale,
Éphémère, notre âme confondue dans l’immensité
Plane des terres étrangères aux fureurs verticales
S’endormira passive sous les fougères dentelées.
Sous les floraisons heureuses qu’absorbe le crépuscule,
Dans la citadelle interdite se cache mon trésor,
Mon rêve de plume inachevé, mon amour funambule,
Étincelant dans la nuit noire comme un scarabée d’or.