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Chroniques de l'ile oubliée

Kupka Ankh Balthazar : Chroniques de l'ile oubliée

Melpomène (VII)

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…Feldspath pris le blessé par les chevilles, tandis que Malachite l’attrapait sous les épaules. Ils transportèrent l’étranger toujours inerte jusque dans la bibliothèque rouge. Melpomène débarrassa, des chandeliers, papiers et livres qui l’encombrait, une des deux grandes tables de chêne trônant à chaque extrémité pour en faire un lit improvisé. Dès que le corps fut allongé à cette place, elle renvoya ses domestiques chercher de quoi rincer et panser sa tête dont la blessure saignait toujours, quoique moins abondamment qu’auparavant. Le soleil déjà haut projetait les carrés de lumière dorée des fenêtres sur le sol, la table et le visage inanimé tandis que le cuir des reliures rougeoyaient dans l’ombre des rayonnages. Les murs et la voute étaient habillés de boiseries d’acajou ouvragées dont la teinte profonde donnait son nom à l’endroit. L’ensemble était sombre mais accueillant et propice à la lecture. C’était une des pièces préférées de Melpomène, et elle y passait, l’hiver, le plus clair de ses journées, plongée dans ses livres ou rédigeant des textes. Elle s’inquiéta finalement de l’inconscience prolongé du jeune homme et examina plus attentivement sa plaie. Le contour en était gonflé, mais la coupure semblait finalement peu profonde. Alors qu’elle était penché au-dessus de lui, les yeux de l’homme s’ouvrirent. C’étaient comme deux puits insondables, comme plonger son regard dans les abysses d’une eau totalement transparente. Le bleu de ses pupilles était si clair qu’il était presque blanc. Il prononça quelques paroles à la limite de l’inaudible, comme si les mots prononcés émergeaient lentement des profondeur d’un rêve éveillé : « Il arrive ! … l’ombre palpite … il … faut … l’empêcher … » Puis, après un temps durant lequel il sembla prendre conscience de l’endroit ou il se trouvait. « Trop tard ! … Il est trop tard … » Avant de retomber dans l’inconscience. Melpomène tenta vainement de le ranimer. « D’où venez vous ? … D’où venez vous ? Quel est votre nom ? » Mais ses questions ne reçurent aucune réponse. Feldspath et Malachite revenaient juste, apportant une bassine d’eau et des linges. Malachite nettoya la blessure, et confectionna un bandage serré afin de comprimer l’ecchymose. Le fils ainé de Feldspath était tout le contraire de son père. Son visage rond au nez camus dénotait une personnalité confiante, presque naïve. Il avait un regard doux et sur son visage flottait un perpétuel sourire rétif à toute contrariété. Il s’acquitta consciencieusement de sa tâche, sans geste inutile et sans hésitation. Feldspath parlait à son fils mais Melpomène n’écoutait plus. Elle s’était approché de la fenêtre et contemplait les figuiers nains juste en contrebas, laissant vagabonder sa pensée. L’inconnu avait parlé de l’ombre dans son délire. Délirait-il ? Parlait-il de celle qu’elle avait également observé depuis sa chambre ? Ça n’était donc pas son imagination, dans ce cas. Les derniers évènements avaient jeté un voile sur la quiétude indolente qui régnait d’ordinaire entre ces murs. Une angoisse diffuse s’insinuait partout malgré la clarté du jour, le ciel uniformément bleu, l’ordonnancement inchangé des choses. Un gémissement sourd s’immisça progressivement derrière le léger bourdonnement du vent, les pépiements d’oiseaux, la conversation de Feldspath et de son fils. Il enfla peu à peu, prit une ampleur de plus en plus grande, imposant le silence. Tous levèrent la tête, figés par l’incompréhension et la surprise. Cela mugissait dans les couloirs vides du château, résonnait en écho de salle en salle. C’était maintenant un cri qui gonflait encore et semblait ne devoir jamais s’arrêter. Melpomène pressa ses mains sur ses oreilles. Perplexes, Feldspath et Malachite attendaient, abasourdis et immobiles, puis firent quelques pas en direction de la tour d’où semblait provenir le hurlement. Celui-ci finit par décroitre, et s’éteignit comme il avait débuté. Le calme s’établit de nouveau, laissant chacun d’eux pétrifié par l’incrédulité… (suite)

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