
Fantaisie hermétique
[Prologue]
Un jour, me croirez-vous, je partis sur la lune.
Nulle nuit plus douce que si longue journée,
Il ne me fut depuis; dans ce matin ouaté
Que ne pouvait briser influence importune,
Usant d’artifices, l’astre blanc m’emporta.
Éon gibuleux, feu d’or de mes longues nuits,
L’ardeur de ses rayons éthérés me happa.
Uranie transforma mon plein jour en minuit.

[Acte I]
En ballon je gagnais l’océan sélénite,
Unique escapade sur la mer des soupirs.
Rayonnantes ondes où vinrent insolites,
Au mitan des courants étoilés du désir,
Œuvre au noir orée des lueurs impénitentes
Livrées aux feux invisibles des météores
Au croissant albée de la lune captivante
Nids de lumière nacrée, cent perles de lune,
Halées jusqu’à nous par cent vagues dentelées.
Emmenées par le flot jusqu’aux abords des dunes,
Nacelles fragiles des rêves pétrifiés,
Cyrano, mon aérien vaisseau revenu
Par terrestres contrées chargés de ces trésors,
Reprit, rapide argent, son voyage assidu.

[Acte II]
Mnémosyne inspirante au verbe ciselé
Intrigue au firmament Le portail étoilé,
La rose des vents sous le secret manteau noir,
Lapidaire animée de mille trajectoires.
Enlevé au ciel par attraction invisible,
Éternelle marée des larmes de l’aiguail,
Sous emprise de lune, vagues indicibles,
Cristallines ardeurs d’un océan d’opale.
Attaché aux embruns pourvoyeurs de jouvence,
Paisible traversée du vaisseau voyageur
Appareillant sur l’ondée céleste en partance.
Distantes pluies cachées de l’arcane sublime
Enchâssé, gemme blanche sacrée, tendre cœur,
Solide allié des géométries en abîme.

[Acte III]
Sous le velours argenté brillent les étoiles
Ostinato diapré que l’automne ensemence
Largo lent de l’hiver habillé de longs voiles
Vert printemps retrouvé, puis l’été en alliance
Ententes muettes des syllabes secrètes
Évidence délivrée en langue de moineaux
Tempus rerum imperator, longues attentes
Coups d’aile multipliés des volatiles d’en haut
Ombreux gardien des bois éternels, jeune hère,
Arpentant la terre lustrale, en son blanc charroi,
Gorgée de purs accords roulant hors des ornières.
Unique et rouge stridence, silencieuse
Lune en decrescendo des frissons où tournoient
Aréiques, les anges servants l’aube heureuse.
[Epilogue]
Décompte mes rimes et lis, relis sans fin,
Ce n’est pas un secret, tout est dit enfin.
Glossaire :
Aiguail : de esgail « rosée » (1561).
Alacrite : [licence] Ardent, (latin alacritas « ardeur »).
Albé : [licence] blanchi, (esp. albear « blanchir »).
Aréique : Privé d’eau. Composé de a-, du grec ancien ῥέω, rhéô (« couler ») et -ique.
Cent : correspond symboliquement au dix-neuvième arcane du Tarot: le Soleil, et symbole de la béatitude céleste
Cinabre : Sous forme élémentaire ou oxydée du mercure, minéral de couleur rouge vermillon.
Cyrano : Nom donné au vaisseau, en hommage à l’écrivain Cyrano de Bergerac, auteur des » États et empires de la lune et du soleil ». Dans ce récit, le héros est porté jusqu’à la lune par l’évaporation de la rosée du matin sous les rayons du soleil.
Eon : Émanation divine. Pour Platon, c’est le monde éternel des idées (latin Aeon, le Dieu phénicien du temps éternel).
Gibuleux : [licence] gibuleuse, se dit de la lune est presque pleine, quand il ne reste qu’un croissant noir manquant.
Lustrale : Ca 1355 «qui sert à purifier, expiatoire» (Bersuire, Tit. Liv.)
Météore : Dans le sens ancien, phénomène céleste (latin meteorum « élevé, dans les airs »).
Midi & Minuit: Le Midi symbolise l’immobilité et l’absolu. La Minuit, le temps du secret et du jugement divin, qui conduira à la victoire de la lumière. Les Maçons travaillent symboliquement de midi, lorsque le Soleil est au Zénith, jusqu’à minuit, maximum de la luminosité de la Lune, (heure symbolique de fermeture des travaux en loge, le Nadir). Dans la tradition maçonnique, l’« âme réunie » est celle qui rassemble en un seul être, le Soleil et la Lune, le jour et la nuit, Ré et Osiris. C’est aussi le signe du travail accompli.
Mnémosyne : Fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), déesse de la Mémoire et créatrice des mots et du langage.
Œuvre au noir : (mélanosis en grec, nigredo en latin) Première phase de l’Œuvre alchimique. Couplée à l’Œuvre au blanc, l’ensemble représente le Petit Œuvre ou « spiritualisation du corps ».
Œuvre au rouge : (iosis, rubedo) Quatrième et dernière phase de l’Œuvre alchimique, l’union du mercure et du soufre aboutissant à l’obtention de la pierre philosophale de couleur rouge. Couplée à l’Œuvre au jaune, l’ensemble représente le Grand Œuvre.
Perle: C’est le cadeau d’une néréide remis à Dame Alchimie dans « les noces chimiques » de Johann Valentin Andreae. Pour les alchimistes, la perle représente la coquille mercurielle au sein de laquelle l’adepte recueille l’eau céleste indispensable à ses travaux (La rosée).
Rapide argent : périphrase pour vif-argent, nom alchimique du mercure. Mercure est, dans la mythologie, le messager des Dieux.
Rosée : Troisième agent de l’Œuvre alchimique, La ‘Rosée’ contient le ‘Sel’ ou feu perpétuel indispensable à l’opération.
Uranie : (en grec ancien Οὐρανία / Ouranía, « la Céleste ») était la Muse qui présidait à l’Astronomie et à l’Astrologie dans la mythologie grecque